Le rapport entre l’humain et la machine, ou plus largement la technologie, peut paraître relativement simple. Pour nous développer, nous adapter à notre environnement, nous avons créé des extensions de notre corps. Outils et savoir-faire, cet ensemble nous donne l’occasion d’aller plus loin que ce que nous permet notre existence première. Dans cette logique la technologie est une alliée, une aide précieuse qui contribue à l’évolution humaine.
Pourtant, cette relation qui semble purement positive est parfois bien plus complexe. Sans aller jusqu’aux technologies destructrices (armement) qui servent une partie de la population au détriment d’une autre, certaines machines ont un rapport conflictuel à l’humanité.
« Ils ont remplacé les humains par des automates ». Le XXIe siècle connaît bien cette rengaine, une grande croyance qui suit l’ère industrielle et qui revient régulièrement, clamant que l’automatisation vole quelque chose à l’humanité. La robotisation des lignes de production dans l’industrie, l’apparition des caisses automatiques dans le commerce et bientôt les intelligences artificielles dans le tertiaire… Les nouvelles technologies nous emplaceront-elles réellement ? Est-ce que les scénarios de science-fiction présentant un monde peuplé de robots, IA et androïdes sont des pistes sérieuses pour imaginer notre futur ?
Cette interrogation se pose notamment au regard de nos limites planétaires, ces technologies novatrices sont-elles soutenables, surtout à l’échelle mondiale ?
La capacité à faire.
Les avancées technologiques sont de plus en plus présentes. Sont-elles pour autant capable d’exercer toutes nos tâches, quotidiennes ou professionnelles ? La réponse à cette question fait encore beaucoup débat auprès des spécialistes.
Prenons en particulier l’exemple de l’IA, qui peut être vue comme une troisième vague d’automatisation, touchant aux activités humaines nécessitant un traitement cognitif (prise de décision ou raisonnement). Elle fait suite aux deux précédentes vagues relatives aux tâches manuelles dites sales/dangereuses, puis à celles répétitives et/ou monotones[1].
La question du remplacement généralisé des humains par la technologie se pose régulièrement depuis la révolution industrielle. Par exemple, au XIXe siècle, des ouvriers près de Manchester avaient brisé les métiers à tisser à l’arrivée des machines par peur du chômage[2]. Effectivement, avec l’arrivée de cette technologie, il ne fallait plus que deux tisserands à la place d’une dizaine.
Concernant l’IA, plusieurs études se confrontent, les plus alarmistes prévoyant une disparition massive des emplois[3] [4]. Une des premières à réellement retenir l’attention est celle de Frey et Osborne en 2013[5], qui explique que 47% des emplois existants aux Etats-Unis sont menacés d’automatisation totale. Certains domaines sont plus à risque (transport, logistique, supports administratifs) mais même les métiers dits très qualifiés pourraient être touchés (médecins, comptables, juristes). Cette étude reste néanmoins fortement critiquée à cause de l’analyse simplifiée des métiers impliqués.
Ainsi, selon une étude récente du forum économique mondial[6], la part globale du « travail » réalisé par les machines va progressivement augmenter pour atteindre 52 % (48 % seront réalisés par l’humain) alors qu’aujourd’hui la répartition est de 71 % pour l’humain et de 29 % pour les machines.
L’impact de la technologie dans la sphère professionnelle est donc difficilement prévisible, toutefois il fait consensus qu’il y aura bien des métamorphoses à prévoir, bien qu’un remplacement complet des humains semble peu probable.
Un travail si cher que cela ?
Nous pouvons imbriquer deux questionnements suite aux prévisions de l’étude du forum économique mondial qui prévoit un basculement de 29% à 52% de la part de travail effectué par les machines. Ce changement de répartition du travail va-t-il entraîner une augmentation du chômage ? Les tâches effectuées par les machines manqueront-elles aux travailleurs français ? Nous pouvons émettre l’hypothèse que si les réponses à ces deux interrogations sont négatives, alors l’impact de la technologie dans le futur sera positif.
Bien que la croyance populaire développe l’idée que l’automatisation du travail entraîne une hausse du chômage, dans les faits, on observe régulièrement l’effet inverse. Selon le Forum économique mondial, d’ici 2025, les technologies auront créé au moins 12 millions d’emplois de plus qu’elles n’en auront supprimé[7]. Effectivement, l’automatisation permet souvent d’augmenter la productivité et donc de faire baisser considérablement le prix de production d’un produit. Dans le passé, cela a régulièrement eu l’effet de la mise en place de prix plus compétitifs pour les clients, ce qui entraîna une augmentation de la consommation. Les entreprises ont donc pu se développer et embaucher de nouveaux employés pour les fonctions supports à la production. Souvent, les postes supprimés par l’arrivée d’une technologie sont compensés par cette redynamisation de l’entreprise. Une partie des nouveaux métiers est d’ailleurs liée directement à la conception, l’intégration et l’entretien des machines.
Pas d’augmentation globale du chômage donc, mais il faut tout de même considérer que les personnes qui occupaient les postes supprimés ne sont bien souvent pas ceux qui bénéficieront de la création de nouveaux métiers.
Comme mentionné ci-dessus, les deux premières phases d’automatisations ont permis de remplacer des missions dangereuses ou monotones. On peut d’ailleurs observer que malgré un taux de chômage élevé en France (8,8% fin 2018[8]), certaines entreprises rencontrent des difficultés à recruter de nouveaux salariés. Les raisons peuvent varier d’un secteur à l’autre, mais les métiers les plus concernés – couvreur qualifié, aides à domicile ou encore aides ménagères – restent des postes considérés comme pénibles.
Ainsi, le remplacement par les machines de ces tâches peu plébiscitées par les français pourrait être bénéfique pour les entreprises ayant besoin de ces métiers. Cela pourrait également créer une répartition de l’offre d’emploi plus proche des attentes des salariés, en supprimant les postes peu épanouissants en faveur de ceux plus créatifs. Pour cela, Stefano Scarpetta, directeur de l’emploi à l’OCDE, recommande de veiller à l’adaptabilité des systèmes scolaires et de formation pour que chaque travailleur ait la capacité de s’adapter aux bouleversements dû aux évolutions des métiers (comme cité plus tôt)[9].
Pour que l’automatisation bénéficie à la société, il faut donc bien contrôler son développement pour qu’il aille dans la recherche de gain de conforts pour les humains, ceci pouvant être régulé et accompagné par les Etats afin d’assurer le bien commun.
Les enjeux environnementaux.
Le scénario d’un monde où la technologie effectuerait la totalité des tâches humaines est un sujet délicat. Sa vraisemblabilité diffère beaucoup selon les études et les facteurs pris en compte (avancée des technologies, modèles économiques, objectifs sociétaux…). Il reste un domaine qui pourrait à l’avenir avoir une grande influence sur l’avancée de la technologie : les enjeux environnementaux.
Pour une machine (robot, ordinateur…), la partie de son cycle de vie ayant le plus fort impact environnemental est souvent lié à sa réalisation (Figure 1). L’utilisation de matières premières dont le cycle de vie entier est fortement impactant (de l’extraction au recyclage, en passant par la mise en forme et le transport) est donc une question primordiale. Si on ne se concentre que sur les métaux, qui constituent une des matières premières principales, on se rend compte qu’une automatisation globale ne serait pas tenable au vu des ressources disponibles sur notre planète.
Figure 1 – Cycle de vie d’un robot (hors process – ACV faite sur un cycle de douze ans)[10]
En effet, une trentaine de matières premières stratégiques pour notre économie sont actuellement considérées en risque de pénurie[11]. On parle notamment des métaux critiques (lithium, titane, cobalt, baryte…) dont 17 terres rares (scandium, yttrium, cérium…) qui sont primordiales dans notre révolution numérique (fabrication d’ordinateurs, batteries, robotique, drones…). D’après Olivier Vidal, chercheur au CNRS, nous devrions consommer dans les 30 prochaines années l’équivalent de ce qui a déjà était consommé dans les 70 000 dernières années. A moins de développer des technologies utilisant des matières premières présentes en plus grande quantité ou de mettre en place des filières de recyclage afin de pérenniser nos ressources (aujourd’hui seulement 1% des terres rares sont recyclées), le développement des technologies comme on les connait aujourd’hui sera forcément freiné.
La pollution résultant de la technologie est également un élément décisif. Prenons l’exemple de la pollution atmosphérique. 2,5% de l’empreinte carbone de la France est liée au numérique, ce qui représente un peu plus que le secteur des déchets (2%)[12]. Le remplacement de l’homme par les machines aura forcément un coût écologique indéniable qui ne sera pas durable. Cela pose la question de la possibilité de développer une technologie plus soutenable.
Outre la pollution directement liée à la technologie, nous avons pu observer que l’automatisation était économiquement soutenable (création d’emploi) grâce à l’augmentation de la consommation qui pouvait suivre son développement. Cependant, nous savons déjà que la surconsommation actuelle est un problème clé à résoudre pour limiter le dérèglement climatique. Pour éviter cette course à la production tout en ayant une automatisation des tâches, il faudrait trouver une organisation sociétale où l’humain n’est plus dépendant économiquement et socialement de son travail. Il faudrait donc trouver un autre rôle à l’humanité que de travailler ; cela demanderait d’importantes transitions sociales, économiques, philosophiques et politiques.
Conclusion
L’ère du tout robotique est encore loin de devenir une réalité un jour. De nombreux défis se présentent pour que ce soit une piste sérieuse pour notre futur. A moins de développer des technologies plus complexes et moins polluantes qui s’intègrent dans des économies circulaires, ou encore de trouver des modèles sociétaux révolutionnaires, l’humanité ne connaîtra pas un monde peuplé de robots.
Pour pousser plus loin cette réflexion, il faudrait également étudier les biais philosophiques et éthiques. Est-ce que le développement de la technologie, qui aujourd’hui est en opposition totale à la nature, est une volonté partagée par l’ensemble de la population ? Idéologiquement, est-il possible de se reconnecter au vivant, à la nature tout en continuant à développer la technologie ? Il y a peut-être des pistes à trouver du côté du bio-mimétisme, afin de trouver des technologies plus organiques, plus en harmonie avec notre planète.
Pauline Dennel