Introduction

« Je suis à l’aube de mon premier voyage interstellaire. Dans le terminal qui me conduit vers le portail de transfert, je repense à toutes mes lectures d’enfant, me racontant l’histoire de l’humanité et des voyages dans l’espace. »

Depuis le XXe siècle, l’exploration spatiale a fasciné l’Homme, avec comme moment historique et émouvant, la première mission habitée à destination de la Lune, APOLLO 11 permettant à Neil Armstrong de fouler sa surface en 1969. Notre imaginaire, nourri des aventures de Jules Verne (De la terre à la Lune), des grands découvreurs et explorateurs du nouveau monde (Vasco de Gama et Christophe Colomb), continue d’alimenter notre fascination pour l’inconnu, nous poussant à voir un monde au delà des limites et en soulevant des questions/problématiques importantes sur la gestion de notre terre originelle. Peut-on vraiment penser que notre avenir est dans les étoiles ? Est-ce notre seule voie de salut ? Replongeons nous dans les grands débats de la conquête de l’espace au XXIe siècle. 

L’espace a été souvent considéré comme la dernière frontière pour l’humanité. Depuis les premiers pas dans la conquête de l’espace, les scientifiques, les politiciens, les entrepreneurs et le grand public se sont interrogés pour répondre à cette question : l’avenir de l’Homme se trouve-t-il dans les étoiles ? Les pro-technologiques, considèrent que l’exploration et la colonisation de l’espace sont nécessaires pour assurer la survie de l’humanité à long terme[1], tandis que les partisans d’une « décroissance maîtrisée » soutiennent que l’argent et les ressources seraient mieux dépensés en résolvant les problèmes ici sur Terre. 

Mais pourquoi l’exploration et la colonisation de l’espace seraient-elles si importantes ?

Michio Kaku, dans une interview donnée au National Geographic à propos de son ouvrage « The future of Humanity »[2], introduit son livre par cette prédiction quelque peu pessimiste « Nous devons quitter la terre ou nous mourrons ». L’avènement de l’ère anthropocène et des impacts de l’homme sur l’équilibre planétaire nous a conduit inéluctablement à (re)questionner la disponibilité des ressources sur Terre. C’est d’ailleurs l’un des principaux arguments en faveur de la colonisation de l’espace, que cette nécessité de trouver de nouvelles ressources pour répondre à la croissance démographique mondiale, aux besoins énergétiques et aux besoins en matières premières. En effet, les réserves de terres rares, de métaux rares et de minéraux stratégiques nécessaires pour les technologies modernes, tels que le lithium, le cobalt et le germanium, sont limitées sur notre planète. L’exploration de l’espace offre alors des alternatives inespérées à la rareté et à la pénurie. Quel terrain de jeu formidable que l’espace pour les scientifiques ! Découvrir de nouvelles planètes, comprendre l’origine de l’univers, étudier l’impact de la gravité sur le corps humain, trouver de nouvelles formes de vie… Selon une étude publiée dans la revue « Astrobiology » en 2018[3], la recherche sur la vie dans l’espace pourrait également offrir de nouvelles découvertes pour  la recherche et la compréhension de la vie sur Terre, telles que l’observation des micro-organismes et leurs survies dans des environnements extrêmes. Lorsque Michio Kaku évoque un échange avec Carl Sagan – astronome américain – celui-ci aborde l’une des raisons majeures de la nécessité de la conquête spatiale, le Plan B de sauvetage : « nous vivons au milieu d’un stand de tir et des milliers d’astéroïdes que nous n’avons pas encore découverts viennent dans notre direction ». Dans son livre « The Case for Mars: The Plan to Settle the Red Planet and Why We Must »[4], Robert Zubrin, ingénieur aérospatial et président de la Mars Society, plaide en faveur de la colonisation de Mars en tant que moyen de sauvegarder l’avenir de l’humanité. Zubrin explique que la colonisation de Mars peut être réalisée en utilisant les ressources locales et qu’elle constitue une garantie pour notre survie en cas de catastrophe sur Terre. Finalement, il s’agit bien avant tout de cela ; la survie et la pérennité de l’espèce humaine telle que nous la concevons, avec sa volonté absolue de s’affranchir de toutes les limites de ressources, d’espace, de temps et même de la mort. 

Naturellement, l’un des premiers défis à relever dans cette incroyable entreprise est le financement : les voyages dans l’espace sont extrêmement coûteux. Selon une étude de la NASA, le coût du lancement d’un vaisseau spatial était d’environ 10 000 dollars par kilogramme. Cela signifie que l’envoi d’une mission habitée sur Mars, par exemple, pouvait coûter des milliards de dollars. Il n’est donc pas étonnant de voir en première lignes des milliardaires comme Elon Musk[5] ou Jeff Bezos investir massivement dans la course à la colonisation spatiale afin d’assouvir leur soif d’éternité. Les défis technologiques ne manquent pas et l’avènement de la quatrième vague technologique – celle de l’IA, de la biotech et des nanotech – transforme profondément notre approche de la colonisation et notre usage de la robotique[6]. Plus besoin de prendre des risques pour Terraformer. Le projet Human Connectome ouvre une nouvelle perspective pour se déplacer… la téléportation par le portage laser. Grâce aux progrès technologiques dans le domaine de la détection des exoplanètes, le champ des possibles s’élargit et les possibilités de rencontre extra terrestre s’agrandissent. Dans son livre « The Living Cosmos: Our Search for Life in the Universe »[7], Chris Impey, professeur d’astronomie à l’Université d’Arizona, explore les possibilités de découvrir une vie extraterrestre et d’aller jusqu’à communiquer avec elle. Il examine également les défis que représenterait la découverte d’une civilisation extraterrestre comme la communication et les différences culturelles, et s’interroge sur la survenue de conflits intergalactiques et comment s’en prémunir. 

N’avons nous donc pas plus intérêt à changer notre relation au monde? 

Investir l’espace n’est pas sans poser de nombreuses questions ; en outre, la colonisation de l’espace soulève des questionnements éthiques et juridiques complexes. Qui possède les ressources spatiales ? Comment les conflits seront-ils résolus ? Comment la vie sera-t-elle soutenue dans un environnement extraterrestre ? La course mondiale, mettant en compétition les Etats, poussant la chine à investir entre 3 à 6 milliards de Dollars par an, ne doit elle pas être fédératrice ? Nixon illustre parfaitement cette pensée en disant « une fois dans l’espace, il faut laisser son pays et sa nationalité derrière soi ». Pas si aisé, semble-t-il au vu de l’annonce en 2023 du retrait de la Russie du programme de L’ISS à horizon 2024. 

Ne serions nous pas à même de reproduire encore et toujours les mêmes erreurs sur d’autres planètes ? Dans son livre « The Ethics of Space Exploration »[8], Tony Milligan examine les implications éthiques de la colonisation de Mars et des autres corps célestes, sous le prisme de notre responsabilité, de notre capacité à préserver les écosystèmes extraterrestres et de notre capacité à partager équitablement les ressources spatiales. Certains experts estiment que la colonisation de l’espace n’est pas viable à long terme et qu’elle n’est qu’une fuite en avant face aux problèmes que nous devons résoudre sur Terre. Dans « The Limits to Growth »[9], un rapport commandé par le Club de Rome en 1972, les auteurs affirment que la poursuite de la croissance économique et démographique ne peut être soutenue à long terme en raison des limites physiques de la planète. En s’appuyant sur des modèles informatiques pour simuler l’impact de la croissance économique et de la population sur les ressources de la Terre, ils ont conclu que la poursuite de la croissance aurait des conséquences catastrophiques à long terme. Et ce ne sont pas les chercheurs du Resilience center de Stockholm qui, dans l’article « Planetary Boundaries: Exploring the Safe Operating Space for Humanity » de Johan Rockström et al.[10], décrivant les limites planétaires que l’Homme franchit inexorablement, contredirait cette oracle de mauvaise augure. Mais la multiplication des recherches scientifiques sur notre propre capacité à infléchir les transformations de notre écosystème et surtout notre propre capacité d’adaptation à de nouveaux paradigmes, laisse entrevoir une alternative à l’exode spatial. La question se pose peut-être en ces termes : l’avenir de l’Humanité n’est-il pas de réinvestir son environnement, en s’adaptant à de nouveaux milieux comme les océans et les sous-terrains ? 

 

Pour conclure, il ne semble ainsi pas si aisé d’affirmer que l’avenir de l’humanité est dans l’espace. Bien que la colonisation de l’espace puisse offrir des perspectives réjouissantes, telles que la survie de l’humanité en cas de catastrophe, une prolongation du modèle de croissance économique ou bien encore une solution aux limites des ressources terrestres, les défis à surmonter restent nombreux. Cela pose une question fondamentale à la réussite d’une telle entreprise : l’humanité est-elle en capacité de coopérer et de se coordonner à l’échelle planétaire ? Et si tel est le cas, quel modèle de société voulons nous bâtir ici, sur Terre, ou par delà les étoiles ? 

Nicolas Legendre

Sources

[1] L’un des pères fondateurs de la théorie des cordes, Michio Kaku, a confié à National Geographic sa vision du futur proche. (2018). National Geographic. https://www.nationalgeographic.fr/espace/il-ny-quun-seul-moyen-de-sauver-lhumanite-aller-sur-mars  
[2] Kaku, M. (2018). The Future of Humanity : Terraforming Mars, Interstellar Travel, Immortality, and Our Destiny Beyond Earth. Doubleday.
[3] Rummel, J. D. (2018). “The Spacefarer’s Manifesto: Guidelines for Future Space Travel and Colonization”. Astrobiology.
[4] Zubrin, R., Wagner, R., & McKay, C. P. (1996). The Case for Mars: The Plan to Settle the Red Planet and Why We Must. Nature, 383(6603), 780-780.
[5] Et vous, seriez vous prêt à aller vivre dans l’espace ?  (s. d.). ECHOSCIENCES – Grenoble. https://www.echosciences-grenoble.fr/articles/et-vous-seriez-vous-pret-a-aller-vivre-dans-l-espace 
[6] Cochard, S. (2019). «   ; La colonisation de l’espace sera possible d’ici 2050  ;  » . L’ADN. https://www.ladn.eu/archives/explorer-les-futurs/colonisation-espace-conquete-spatiale-2050 
[7] Impey, C. (2011). The living cosmos: our search for life in the universe. Cambridge University Press.
[8] Schwartz, J. S., & Milligan, T. (Eds.). (2016). The ethics of space exploration. Springer International Publishing.
[9] Meadows, D. H., Meadows, D. L., Randers, J., & Behrens, W. W. (2018). The limits to growth. In Green planet blues (pp. 25-29). Routledge.
[10] Rockström, J., Steffen, W., Noone, K., Persson, Å., Chapin III, F. S., Lambin, E., … & Foley, J. (2009). Planetary boundaries: exploring the safe operating space for humanity. Ecology and society, 14(2).