Depuis plusieurs décennies, l’innovation technologique a façonné notre façon de vivre. De la découverte du feu à l’invention de l’écriture, en passant par l’imprimerie et l’électricité, chaque avancée a eu un impact majeur sur la société et l’environnement. Aujourd’hui, nous sommes à l’aube de l’ère de la transition numérique, où les technologies numériques sont devenues omniprésentes dans nos vies quotidiennes. L’utilisation des technologies numériques a connu une croissance exponentielle. Depuis les premiers ordinateurs remplissant des pièces entières jusqu’aux smartphones qui tiennent maintenant dans notre poche, la numérisation a bouleversé notre façon de communiquer, de travailler et d’interagir avec le monde qui nous entoure.
Face au dérèglement climatique, la transition numérique se présente comme une lueur d’espoir pour inverser la trajectoire du réchauffement climatique. Cependant, derrière les promesses de cette transformation se cachent des questions complexes : la transition numérique peut-elle réellement devenir un moteur de changement durable ? Peut-elle concilier progrès technologique et préservation de la planète ? Cet article explore les enjeux de la transition numérique dans la lutte contre le réchauffement climatique ?
Transition numérique et transition écologique
La transition numérique est une transformation induite par les évolutions des technologies de l’information et de communication (TIC). Le large déploiement de réseaux fixes et mobiles à haut débit, le taux de pénétration élevé des équipements numériques au sein des ménages non seulement des pays développés, mais aussi des pays en développement (pour ce qui est du téléphone mobile, notamment), l’émergence de plateformes de services transformant des secteurs d’activité entiers (transports, hôtellerie…) et la ramification d’Internet jusque dans les objets du quotidien, constituent autant de phénomènes parvenus à maturité ou se dessinant à une échéance proche[1]. La transition numérique a donc profondément bouleversé les codes de l’ensemble des secteurs d’activités (courriels, clouds, etc.), les modes de vie (jeux vidéo, communication via les smartphones, vidéos haute qualité à la demande, etc.) et les habitudes de consommation (commerce en ligne, achats nombreux et fréquents d’équipements électroniques, etc.)[2].
La transition écologique est quant à elle d’une tout autre nature. Elle est liée à la nécessité de transformer un modèle de croissance excessivement producteur d’externalités négatives, tout particulièrement en termes d’émissions de gaz à effet de serre et de dégradation de la qualité de l’air, de l’eau, de la biodiversité… Les technologies qui entrent en compte sont : les centrales à charbon qui restent performantes pour produire de l’électricité, les véhicules thermiques qui offrent un service de transport également efficace. Cependant, l’utilisation de ces dispositifs techniques n’étant pas soutenable à long terme, il y a nécessité d’une transition promouvant des technologies de substitution plus respectueuses de l’environnement comme des technologies solaire ou éolienne.
En ce qui concerne les efforts de lutte contre le changement climatique, l’enjeu est de déterminer si le concours du numérique peut apporter des ruptures permettant de rejoindre la trajectoire des 2°C. Cependant, il est essentiel de se questionner sur les effets du numérique sur l’environnement.
Impact environnemental du numérique
Selon une étude réalisée par Greenpeace[3], l’industrie du numérique est responsable d’environ 4% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde. Cela représente deux fois plus que les émissions de l’ensemble du secteur aérien.
Les premiers responsables des impacts du numérique sont les terminaux « utilisateur », c’est-à-dire les appareils électroniques (entre 64% et 92% des impacts, en premier lieu les écrans de télévision), suivi par les centres de données (les datas centers) (entre 4% et 22% des impacts) et les réseaux (entre 2% et 14 %)[2]. Un autre impact du numérique est présenté selon les phases du cycle de vie (fabrication, distribution, utilisation et fin de vie).
La phase de fabrication est la principale source d’impact pour les trois composantes majeures côté équipements (terminaux utilisateur, réseaux et centre de données), suivie de la phase d’utilisation. En effet, les équipements relatifs aux services numériques sont très demandeurs en énergie pour leur fabrication. Ces équipements utilisent une quantité importante de métaux stratégiques (terres rares), qui requièrent également beaucoup de ressources (consommation en eau) et d’énergie pour leur extraction et génèrent beaucoup de déchets toxiques. Pour une grande
partie de ces matières premières, l’épuisement total est attendu d’ici 30 ans[4]. Concernant l’utilisation, les impacts viennent majoritairement de la consommation d’électricité. Dans l’esprit des citoyens, le numérique est immatériel et peut faire l’objet d’un usage illimité. Des effets de mode nous incitent à renouveler très rapidement nos appareils numériques, alors que leur cycle de vie est très fortement émetteur de gaz à effet de serre.
La part du numérique dans les émissions de gaz à effet de serre est très méconnue : il est donc indispensable de rendre le consommateur (les particuliers, mais également les entreprises et institutions publiques) conscient de l’impact climatique des produits numériques (smartphones, ordinateurs, tablettes, produits connectés) et de leur usage (stockage de données, streaming, e-commerce, VOD, etc.).
Le numérique contribuant à la hausse des émissions des gaz à effet de serre, il peut être un moyen pour participer à la transition écologique. La baisse de la consommation numérique est un des moyens d’obtenir une baisse des émissions de gaz à effet de serre considérable. L’impossibilité d’atteindre nos objectifs sans réduction de l’empreinte carbone de ce secteur paraît évidente.
Comment le numérique peut-il contribuer à la transition écologique ?
La numérisation se révèle être une condition de la réalisation de la transition écologique. Le numérique pourrait contribuer à la transition écologique en permettant une meilleure gestion des ressources et une réduction des émissions de gaz à effet de serre. Les transitions numérique et écologique partagent un grand appétit de données, ce qui peut permettre une meilleure collecte de données pour une gestion plus efficace des ressources. Par exemple, l’insertion des technologies de production d’électricité décentralisés (éolien, photovoltaïque, biogaz…), par l’ajout progressif de dispositifs de stockage, par le besoin de flexibilisation de la demande, par le développement de nouveaux usages (véhicules électriques, en particulier), requiert des moyen de pilotage faisant très largement appel aux technologies relevant du numérique[1].
Il existe plusieurs exemples concrets de projets numériques contribuant à la transition écologique. Le rapport de l’Arcep et de l’ADEME[2] souligne également que le numérique peut être utilisé pour la surveillance environnementale, la gestion des déchets, la mobilité durable, etc. Le numérique peut également être utilisé pour promouvoir des modes de vie plus durables. Par exemple, les applications de covoiturage et de partage de véhicules peuvent contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre liées aux déplacements. Les applications de suivi de consommation d’énergie peuvent également aider les citoyens à réduire leur consommation
d’énergie. Des applications de suivi de l’empreinte carbone peuvent aider les individus à mesurer et à réduire leur impact environnemental. Les plateformes de covoiturage et de partage de véhicules encouragent une utilisation plus efficace des transports, réduisant ainsi les émissions de gaz à effet de serre.
Les technologies numériques peuvent être utilisées pour optimiser l’utilisation de l’énergie dans différents secteurs tels que les bâtiments, les transports et l’industrie. Par exemple, la mise en place de systèmes de gestion intelligente de l’énergie permet de surveiller et de contrôler la consommation énergétique en temps réel, ce qui permet des économies significatives et une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
La transition numérique peut favoriser le déploiement et l’intégration efficace des sources d’énergie renouvelable telles que l’énergie solaire et éolienne. Les technologies numériques permettent la collecte et l’analyse de données en temps réel, ce qui facilite la gestion des réseaux électriques, l’ajustement de la production en fonction de la disponibilité des énergies renouvelables et l’optimisation de leur efficacité.
Encore sous-évalué et sous-exploité, le numérique se révèle être un formidable outil au service de la transition écologique et solidaire. Il permet des gains d’efficacité dans des domaines aussi variés que l’efficacité énergétique pour le stockage et la distribution, la mobilité intelligente, l’agriculture, etc. Les initiatives déjà engagées dans ce domaine devront être amplifiées, notamment par la mobilisation de la donnée publique et privée, ou encore le soutien aux GreenTech et aux autres innovations au service de la transition écologique.
Le numérique fournit ainsi de nouvelles possibilités aux acteurs publics, privés et aux collectivités, par un accès démultiplié et en temps réel à une grande masse de données et par l’émergence de modèles plus interactifs, plus flexibles et plus décentralisés. De nombreux enjeux doivent être pris en compte pour tirer pleinement profit de ce potentiel numérique : en particulier, maîtriser la consommation énergétique des outils numériques eux-mêmes, assurer la sécurité des systèmes numérisés, créer de nouveaux services à valeur ajoutée et repenser le rôle des acteurs publics et privés dans un contexte numérique[5]. On note ainsi de nouvelles possibilités numériques pour tous les acteurs des systèmes énergétiques (amélioration de l’efficacité
énergétique, flexibilité des consommations, optimisation des installations de production d’énergie renouvelable) et au service de la transition énergétique dans les transports : par exemple, la proposition par les collectivités de nouveaux services de mobilité s’appuyant davantage sur l’intermodalité et sur une information des usagers, en temps réel et sans coupure ; l’optimisation des chaînes logistiques à faible impact carbone par les entreprises ; la mobilité électrique…
Cependant, le numérique peut également avoir un impact environnemental négatif. Le numérique pose un véritable défi d’efficacité énergétique, notamment en termes de consommation d’énergie et de matières premières. Pour que le numérique contribue réellement à la transition écologique, il est important de promouvoir un numérique responsable et sobre en énergie. Des exemples de projets allant dans ce sens sont : l’utilisation de matériel reconditionné, l’éco-conception logicielle, le cloud et la virtualisation sont des pistes concrètes pour réduire l’empreinte carbone du numérique.
Des projets de récupération de la chaleur produite par les centres de données sont en train d’être développés : ils permettent de limiter les dépenses énergétiques pour le refroidissement de ces centres tout en fournissant de la chaleur à des zones résidentielles ou tertiaires. Les industriels du numérique, qui sont de plus en plus conscients des enjeux environnementaux liés à leurs activités, sont par ailleurs parmi les plus actifs dans la recherche de sources d’énergie renouvelables[5]. Toutefois, il est indispensable d’assurer dès le départ la sécurité des systèmes et des données pour bâtir une véritable confiance numérique. Et au-delà de la sécurité, se posent les questions relatives aux manières de conjuguer les utilisations de ces données pour développer de nouvelles applications, tout en protégeant les intérêts légitimes des personnes morales ou physiques tant dans leur vie privée que professionnelle.
Conclusion
Pour conclure, nous pouvons voir que les promesses et, déjà, les réalisations sont nombreuses. La mobilisation de tous les acteurs dans les prochaines années permettra de concilier la révolution numérique et la transition écologique pour transformer l’essai en un succès environnemental, économique et social. Il est donc important de poursuivre l’effort d’innovation technologique en déployant un cadre de réglementation à la fois adapté et facilitateur et une démarche d’accompagnement de l’expérimentation de ces nouveaux outils, avant leur déploiement.
Chimène Kinkpé
Sources
[1] Geoffron, P. (2017). Comment transition numérique et transition écologique s’interconnectent-elles ? Responsabilité et environnement. https://doi.org/10.3917/re1.087.0017
[2] ADEME. (2022, 19 janvier). NUMERIQUE RESPONSABLE : ET SI NOUS ADOPTIONS LES BONS RÉFLEXES ? [Dossier de presse] https://presse.ademe.fr/wp-content/uploads/2022/01/DP_Numerique-responsable-190122.pdf
[3] Greenpeace Luxembourg. (2021, 1 juillet). Limiter la pollution numérique, le nouveau défi – Greenpeace Luxembourg. https://www.greenpeace.org/luxembourg/fr/actualites/12152/limiter-la-pollution-numerique-le-nouveau-defi/
[4] Gouvernement français. (2021). Numerique & Environnement – Faisons converger les transitions. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Feuille_de_route_Numerique_Environnement.pdf
[5] Michel, L., & Meheut, G. (2017). Numérique et transition énergétique. Responsabilité et environnement, N°87(3), 31. https://doi.org/10.3917/re1.087.0031