Une très forte mousson a englouti une grande partie du Pakistan l’été dernier. L’ouragan Ian, avec des rafales de vent allant jusqu’à 250 km/h, a balayé la Floride en septembre. Une sécheresse sans précédent a étouffé l’Europe entière tandis que de fortes tempêtes de grêle ont détruit de nombreuses cultures agricoles autour de la Méditerranée. Résultat, partout, des bâtiments et infrastructures anéantis, des récoltes disparues, des commerçants démunis et des familles jetées sur les routes migratoires pour fuir des zones entières dévastées.
En 20 ans, le coût des indemnisations en France suite aux inondations, tempêtes et autres sécheresses a dépassé largement les 50 milliards d’euros. Ce chiffre ne cesse d’augmenter et les projections pour les prochaines années ne sont pas très optimistes.

Alors imaginons-nous dans 15 ans, le jour où nous entendrons cette phrase : Maman, elle ressemblera à quoi ma maison quand je serai grand ?

Aujourd’hui, nous sommes incapables de répondre à cette question. Pourtant, nous avons tous entendu parler des alertes répétées des grandes organisations scientifiques, de l’émission des gaz à effet de serre et de la destruction irréversible de certains écosystèmes car les pays et les entreprises continuent à privilégier la croissance économique à la protection de l’environnement. Les cadres législatifs et stratégiques des acteurs publics et privés (qu’ils soient à l’échelle nationale ou internationale) se révèlent insuffisants pour inverser cette tendance. 

De nouvelles perspectives

Les individus sont de plus en plus sensibles aux transformations causées par le changement climatique, notamment en termes d’habitat. Un nouveau domaine de recherche, la géo-ingénierie, pourrait alors devenir essentiel dans l’adaptation de notre vie à l’environnement. Le terme de « géo-ingénierie »[1] recouvre un ensemble de technologies apparues dans le cadre de mesures envisagées pour lutter à l’avenir contre le réchauffement climatique. Le but commun de ces technologies est de ralentir, voire de stopper le réchauffement de la biosphère par le biais d’une manipulation à l’échelle globale du système Terre. Les moyens envisagés pour atteindre cet objectif peuvent être classés selon deux visées principales : soit l’on agit sur le réfléchissement solaire, soit l’on agit sur la concentration de CO2 dans l’atmosphère. Concrètement, il faut adapter nos infrastructures et nos modes de production au climat à venir : végétaliser les villes, isoler les logements non plus seulement du froid, mais aussi de la chaleur, protéger les réseaux de transport et d’énergie contre les canicules, stopper les constructions en zone inondable, déplacer les cultures agricoles, etc.

Cette rupture pourrait être favorisée si la recherche en géo-ingénierie bénéficie de l’intérêt des laboratoires universitaires, des États, et obtient des investissements publics et privés conséquents, permettant d’importants progrès techniques. 

Pour aborder quelques avancées en géo-ingénierie, nous allons parler des questions de chaleur et de montée des eaux. 

La chaleur est un facteur de dégradation de nos habitats actuels. Ces coups de chaud à répétition impactent fortement les bâtiments : usure accélérée des matériaux, dilatation, dégradation des équipements électriques, sans même parler des impacts sur la santé et le confort.

Pour les constructions face au soleil, il faut éviter les volets roulants, qui empêchent l’air d’entrer et chauffent au soleil. Il faut privilégier les brise-soleils orientables, qui laissent passer la lumière, la vue et l’air. La couleur des bâtiments est également stratégique. Il faut privilégier des matériaux qui ont un albédo positif. L’albédo est la part de rayonnement solaire renvoyée dans l’atmosphère : il augmente quand la toiture est blanche. De nombreux urbanistes suggèrent d’arrêter l’usage de l’enrobé, issu de la pétrochimie, pour préférer des bétons clairs innovants, notamment à base de coquille d’huître. Lors de la construction de nouveaux quartiers, les architectes utilisent des logiciels qui calculent les déplacements de l’air : si un immeuble empêche l’air de circuler, on le déplace. De plus de plus de chercheurs posent la question de s’inspirer des techniques traditionnelles des villes qui depuis des millénaires apprivoisent les fortes températures. En effet, les vieilles villes des pays en région aride ont construit des bâtiments en adéquation avec leur environnement. L’idée serait de retourner à certaines pratiques ancestrales tout en utilisant certaines nouvelles technologies ayant fait leurs preuves.

Aussi plusieurs villes font face à ces catastrophes climatiques, notamment la hausse du niveau de l’eau et la multiplication des crues[2]. Les mairies investissent donc dans un réaménagement de leur ville. On voit alors apparaître :

  • Des ponts plus longs afin d’augmenter leur résistance, 

  • La surélévation des constructions, 

  • Le refus de reconstruire des habitations détruites en zone inondable, 

  • Des bâtiments sur pilotis, 

  • Un réaménagement total de certains quartiers laissant entrer l’eau pour qu’elle puisse ressortir naturellement au lieu de la forcer à suivre un parcours type, 

  • Des trottoirs surélevés et parallèle à la rivière pour ne plus être un obstacle en cas de cru

  • Des volets pivotant remplaçant les portes pour laisser passer l’eau.

Le concept de résilience

On voit alors que l’objectif n’est plus de se barricader et d’être dans le rejet de l’environnement mais plutôt de construire autour et avec les éléments. En effet, c’est lorsque la nature est privée de son cours qu’elle fragilise nos infrastructures. Nous n’empêcherons jamais la pluie de tomber ni le soleil de briller. C’est le concept de résilience[3]. La résilience est la capacité de tout système urbain et de ses habitants à affronter les crises et leurs conséquences, tout en s’adaptant positivement et en se transformant pour devenir pérenne. Ainsi, une ville résiliente évalue, planifie et prend des mesures pour se préparer et réagir à tous les aléas, qu’ils soient soudains ou à évolution lente, prévus ou non. Les villes résilientes sont donc mieux à même de protéger et d’améliorer la vie des gens, de sécuriser leurs acquis, de promouvoir un environnement favorable aux investissements et de favoriser les changements positifs. Cela implique de concevoir des bâtiments capables d’encaisser les chocs naturels. On peut prévoir par exemple des éléments qui vont céder plus rapidement et orienter les eaux vers les zones où les dégâts seront moindres.

Afin de mieux comprendre les principes de la résilience, « le petit traité de résilience locale » publiés en 2015 les présentes sous 6 aspects imagés par des éléments de la nature : 

  • Le premier est la toile d’araignée : à la fois robuste et souple.

  • Le roseau, qui plie mais ne rompt pas et récupère sa forme rapidement.

  • Le cœlacanthe, qui persiste sur Terre depuis 400 millions d’années, symbole de soutenabilité.

  • Le caméléon, capable de s’adapter à différentes situations en modifiant la couleur de ses pigments ou en se rendant invisible.

  • La colonie de fourmis, auto-organisée, qui résout des problèmes complexes grâce à une multitude de comportements individuels simples qui font émerger une intelligence collective.

  • Et enfin, la chenille, qui quitte sa zone de confort et abandonne l’environnement avec lequel elle était familière pour se transformer en papillon et évoluer dans un habitat totalement différent.

Des organisations mondiales se positionnent en faveur de ce projet. Ainsi l’Organisation des Nations Unies a créé ONU Habitat en 1977 avec pour objectif un meilleur avenir urbain. Sa mission est de promouvoir le développement durable des établissements humains sur le plan social et environnemental ainsi que l’accès à un logement décent pour tous. Elle a également lancé un plan basé sur la résilience des villes face aux conséquences des catastrophes naturelles et anthropiques. Pour atteindre cet objectif, ONU-Habitat est convaincu qu’il est essentiel de travailler directement avec les gouvernements locaux et leurs partenaires parce qu’ils sont le niveau de gouvernance le plus proche des habitants[4]. Pour cette raison, il a lancé le Programme de Profilage de la Résilience Urbaine (CRPP en anglais) qui aide les gouvernements à renforcer leurs compétences en matière de résilience en élaborant un aménagement urbain complet et global, en développant une approche de gestion, ainsi que des outils pour mesurer et détailler la résilience de la ville face à tous les types de risques. Une approche transversale et collective est nécessaire pour articuler les outils et les plans existants dans une approche systémique. 

Plusieurs auteurs de science-fiction ont aussi considéré la possibilité pour l’humanité de se préserver de dégradations environnementales majeures et irréversibles grâce à la construction de cités-bulles, de villes sous cloche ou d’îles artificielles qui couperaient la population de toute agression extérieure. Si le développement de tels projets reste encore très limité, notamment en raison des coûts techniques qu’ils supposent, il ne relève pas toutefois totalement de l’imaginaire. Ainsi, Singapour n’a eu de cesse d’accroître la superficie de son île pour y accueillir sa population. Aujourd’hui motivés par des problématiques de logement et d’habitabilité, ces projets pourraient connaître un regain d’intérêt si la dégradation de certains écosystèmes s’aggravait brutalement, par exemple si l’air devenait difficilement respirable. 

Vers un renforcement des inégalités

Ces nouvelles technologies sont ainsi fortement développées au détriment d’investissements dans des solutions plus low-tech, ou d’une stratégie dirigée vers la réduction en amont des dégradations climatiques et environnementales. Les logiques de progrès et d’innovation qui animent déjà la plupart des grands acteurs économiques mondiaux continuent à prévaloir, au risque d’accentuer la fracture avec les territoires les plus démunis. 

Ces solutions montreraient une fois de plus les inégalités dans le monde. En effet, seuls les états les mieux dotés en termes de moyens économiques et de savoir-faire technologique pourraient tenter de lancer les premiers mondes sous cloche.

Aujourd’hui, nous sommes face à un dilemme, construire en s’adaptant aux nouvelles contraintes du réchauffement climatique en investissant massivement dans des nouvelles technologies et méthodes d’urbanisme ou investir massivement dans la réduction de notre empreinte écologique pour éviter d’avoir recours à ces nouvelles innovations. Finalement, est-ce à la Maman de demain que l’on doit poser la question ?

Manon Le Frapper

Sources

[1] Ségur, M. (2021). 3. En 2050, écologie de synthèse et géo-ingénierie comme réponses aux dégradations des écosystèmes. Dans Cécile Désaunay éd., Rapport Vigie 2020 : Scénarios de rupture à l’horizon 2040-2050 (p. 47‑61). https://doi.org/10.3917/futu.desau.2020.01.0047 
[2] Maret, I., & Cadoul, T. (2008). Résilience et reconstruction durable : que nous apprend La Nouvelle-Orléans ? Annales de géographie, n° 663(5), 104‑124. https://doi.org/10.3917/ag.663.0104
[3] Ministère de la transition écologique et solidaire. (2017). La résilience des territoires aux catastrophes (No 2552‑2272). Consulté le 26 juin 2023, à l’adresse https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/Th%C3%A9ma%20-%20La%20r%C3%A9silience%20des%20territoires%20aux%20catastrophes.pdf 

[4] La résilience urbaine | UN-Habitat. (s. d.). https://unhabitat.org/fr/node/3774